Le cauchemar de l’adjudant Bonasse
-« Quelqu’un m’a dit que les fées tenaient leur congrès ce samedi à la salle des fêtes de Saint-Germain. Qu’avez-vous prévu, adjudant Bonasse ? »
L’adjudant Bonasse venait d’être tiré d’un demi-sommeil bienfaiteur par un appel urgent du commandant de gendarmerie Paul de
la Ferrière. Bonasse portait son nom à merveille. Dernier rejeton d’une famille nombreuse de Saint-Germain-en-Pouilly, le travail de la terre ne l’avait jamais vraiment attiré, pas plus que le travail tout court d’ailleurs. Il s’était donc découvert une vocation impérieuse pour la gendarmerie, après avoir étudié minutieusement la façon dont son illustre prédécesseur Bourichon occupait son temps dans les locaux de la gendarmerie du canton.
A ce moment de l’après-midi, cette histoire de fées lui passait très nettement au-dessus du képi et dans un semi-brouillard, il s’entendit répondre :
-« Mesures de sécurité habituelles, chef ! »
-« Je compte sur vous, Bonasse ! Pas de vagues !… surtout pas de vagues ! »
Tiré d’une douce rêverie par une histoire rocambolesque d’une part et par le ton martial de son supérieur direct d’autre part, Bonasse avait besoin de retrouver ses esprits. Il ajusta son couvre-chef réglementaire et propulsa sa silhouette avantageuse jusqu’au bistrot de la mère Denise pour analyser la situation.
La mère Denise cultivait une fine connaissance de la région et en voyant Bonasse pousser la porte de son comptoir d’un air soucieux, elle comprit très vite :
-« C’est le congrès de samedi qui te mets dans cet état, Mathieu ? »
Mathieu Bonasse ronchonna en guise de réponse, prit le temps de commander son premier demi de la soirée, puis en vint au fait :
-« Si je comprends bien, tout le monde est au courant, sauf les forces de l’ordre… »
A cette heure, le bistrot n’était guère fréquenté. Seul, Anselme Rouillon, le notaire du Village s’était attablé dans le fond de la salle. Son métier et son éducation en faisaient un homme pondéré. La rosette qu’il portait discrètement à la boutonnière, la chaîne argentée qui barrait son estomac proéminant, dont il tirait parfois le cadran de son antique montre : tout en lui inspirait confiance. Bonasse attrapa son verre sur le zinc et s’installa d’un air contrarié en face d’un des principaux notables de la commune :
-« Maître Rouillon, entre hommes de loi, soyons sérieux …. Vous y croyez à cette histoire de fées ???? »
-« Mon pauvre Bonasse…. »
C’était à peu près tout ce qu’était en mesure de dire Maître Rouillon. En professionnel prudent, Anselme ne croyait que ce que la main de l’homme consignait par écrit. Mais il est vrai que les rumeurs qui circulaient dans le village depuis quelques semaines, l’avait plongé dans un doute tel qu’il ne se sentait pas en situation de répondre autre chose que :
-« Mon pauvre Bonasse !!… »
Le vendredi soir Bonasse rameuta ses troupes. En l’occurrence le gendarme Pellegrin. Repérer Pellegrin n’était pas très compliqué : il passait son temps à la boulangerie à conter fleurette à la jeune vendeuse du père Durin qui fabriquait le pain du village depuis trente cinq ans. Pellegrin venait donc de s’acheter son quatorzième pain au chocolat de la journée quand Bonasse le surprit dans la boutique, en pleine conversation avec l’objet, ou plutôt la ravissante personne de ses convoitises.
Puis, il fallut trouver le gendarme Boulloche. C’était un peu plus ardu. Boulloche ne se distinguait pas par une présence assidue à son poste de travail. Mais Bonasse avait son idée. Dans un mois, la mairie organisait son concours de pêche, manifestation que Boulloche préparait chaque année avec entrain et application. Les déductions de Bonasse s’avérèrent parfaitement exactes. Boulloche était à l’entraînement à l’orée du village auprès de la rivière qui serpentait dans ses environs.
En soi, la perspective d’une réunion de travail était de nature à consterner Boulloche. Mais, la tenir un vendredi soit à 18 heures atteignait pour lui le comble de l’invraisemblance administrative. Il dut néanmoins obtempérer en voyant le front soucieux de Bonasse.
Le lendemain, dès potron-minet, les journalistes envahissaient le village, voitures de presse garées n’importe comment devant la salle des fêtes, place de la Mairie. Bonasse et ses hommes arrivèrent en soufflant, bien plus tard. Les hommes de presse, appareils photographiques en bandoulière, couraient, hurlaient, pestaient, et ne prêtaient aucune attention à la gendarmerie locale.
Bonnasse criait ses ordres à la volée :
-« Installez le périmètre de sécurité ! »
Devant la Mairie, Pellegrin et Boulloche entreposèrent la seule barrière métallique qu’ils purent pu trouver : elle ne servit à rien, tout le monde la contournait.
Vers seize heures, les premières fées firent leur apparition. Les unes en voiture, d’autres plus anciennes sur un balai, sur un nuage, sur rien. Boulloche et Pellegrin assuraient la circulation : les voitures avec les voitures, les balais avec les balais, les nuages avec les nuages, rien avec rien. Une demi-heure plus tard, une limousine de quinze mètres de long émergeait de la lisière de la commune : c’était une fée américaine. C’est elle qui avait permis le miracle de faire élire deux fois Bush à la présidence. Elle fut assaillie par les intervieweurs.
Et puis, une foule désordonnée, bavarde, caquetante se forma autour de la salle de fêtes de Saint-Germain. C’était le moment de la grande montée des marches du petit escalier !! La fée Carabosse la réussit parfaitement, prenant soin de montrer son meilleur profil aux flashes qui crépitaient. Les trois fées de l’histoire de la belle au bois dormant arrivèrent bras dessus, bras dessous. Elles étaient charmantes en robe du soir, elles se retournèrent longuement vers la foule avant d’entamer leur montée. Puis, au pied des trois marches, la Fée du Logis apparut, elle se montra rayonnante, en tenue de lamé blanc. La fée Carabosse ne manqua pas la cérémonie, accompagnée de son producteur. Les principales baguettes magiques de la planète se succédèrent jusqu’au soir, sous les vivats et les bravos.
Au début, Bonasse se trouvait au premier rang avec ses hommes, tentant un cordon susceptible de contenir les journalistes et les fans. Très vite, ils furent débordés et se retrouvèrent derrière la foule. Soudain, Bonasse glissa à terre, prêt à être piétiné par l’attroupement. NON !
Marie Bonasse avait l’habitude. Son homme était fréquemment terrassé par les soucis professionnels pendant son sommeil. Elle le bouscula d’un coup de coude. Il était en sueur dans son pyjama à rayures bleues. Bonasse se redressa d’un coup en faisant gémir les ressorts du sommier. Il tâta les différentes parties de son corps : sain et sauf ! Il savait désormais qu’il n’ y aura jamais de festival de fées à Saint-Germain.
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