Qui m’aime me suive
30 juin, 2009Lucien n’a pas du tout aimé le discours du Ministre. D’ailleurs, il n’aime pas le Ministre non plus : il s’est offert le plaisir de lui avouer qu’il n’avait pas voté pour son parti aux dernières élections. Le sourire mécanique du Ministre des Transports s’est figé dans sa mâchoire crispée. Il est devenu furieux contre ses collaborateurs. A la demande de la mairie, il s’est déplacé pour célébrer le centenaire du village comme il le fait plusieurs fois par an dans sa circonscription électorale. Comme d’habitude, il s’attendait à distiller quelques banalités bien senties sur le temps qui passe à un vieillard rabougri, sourd et impotent. Mais son cabinet a été incapable de le prévenir qu’il y a encore des ancêtres en mesure d’avancer des opinions politiques ! Il s’est éclipsé le plus rapidement possible en prétextant un rendez-vous à l’Elysée.
La fête, organisée dans la salle des mariages de la Mairie en l’honneur de Lucien, bat son plein. Les convives, après l’avoir longuement félicité – il se demande encore de quoi – ont fini par l’abandonner dans un coin, rivé dans son fauteuil. Un centenaire, ça ne danse pas, ça ne parle pas beaucoup. Les invités se sont agglomérés en groupes autour du buffet garni, bourdonnant de conversations, tandis qu’une musique nasillarde fait danser quelques couples d’enfants endimanchés sur le parquet municipal. Lucien scrute la scène, le menton appuyé sur ses deux pauvres mains, posées sur le pommeau de sa canne. Des lueurs d’ironie voilent parfois son regard encore alerte.
Plusieurs générations sont réunies là pour l’occasion. Lucien observe Louis, son fils. A 70 ans, il lui trouve toujours le même air nigaud et perdu. Malgré son âge, Lucien l’appelle souvent : mon pauvre gamin ! Louis a divorcé de sa première femme qui s’est enfuie avec un coureur cycliste, un jour de Tour de France, tant elle s’ennuyait avec son époux. Lucien avait failli s’étouffer de rire quand son fils, penaud, lui avait conté l’aventure :
-Mon pauvre gamin ! Tu n’arriveras jamais à rien avec les femmes !
De son temps, les femmes mariées craignaient l’autorité de l’Homme et savaient s’ennuyer consciencieusement en couple. Depuis leur apparition en force sur le marché du travail, non seulement elles ne tenaient plus leur ménage, mais encore elles avaient l’ambition de transformer la vie à deux en partie de plaisir. Où allait-on ?