Les petits hommes
30 mars, 2009Louis Guerrier a aimé la chanson d’un artiste populaire qui conte l’histoire de copains de lycée se réunissant 10 ans après leur bac. Il a eu envie de tout essayer pour rassembler ses condisciples de terminale. Un besoin irrésistible l’a poussé à revenir en arrière, tandis qu’une autre part de lui-même lui susurrait qu’il était bien trop tard. Trente ans, Louis ! Tu te rends compte, depuis trente ans, chacun a vécu sa vie, tu ne les retrouveras plus.
Louis a quand même fouillé sa mémoire, ses photos de jeunesse, les annuaires téléphoniques, Internet. Et puis, il a réussi à reconstituer une quinzaine de noms, des adresses ou des hypothèses d’adresses, parfois quelques numéros de téléphone.
Il hésite à appeler. Il a peur des premiers mots. Que dire ?
-« C’est toi ? Tu te souviens ?… »
Avec tous ces détraqués qui vous dérangent pour sonder vos intentions électorales ou vous vendre des réductions fiscales, il va se faire jeter avant d’avoir pu exposer son envie de ressusciter le passé.
Il va donc écrire. Une conversation, ça s’interrompt facilement, une lettre, en principe, ça se lit jusqu’au bout. Louis doit être convaincant. Il va évoquer des images. La cour de récréation où l’on a tant joué au foot malgré les platanes qu’il fallait dribbler comme autant de joueurs immobiles. Ronchon, le gigantesque concierge qui passait toutes les heures en salle de classe pour recenser les absences. Pétrovic, le surgé, un immigré yougoslave, qui se planquait dans les encoignures des couloirs sombres pour nous tomber dessus à la première incartade. La première cigarette qui valut une exclusion à Bourdarel. C’était avant 1968, on ne plaisantait pas avec le tabac.
Louis est fier de sa lettre. Il s’est ému lui-même en l’écrivant et ne doute pas de sa réussite. Il fixe un rendez vous le 25 juin à 20 heures dans une guinguette au bord de l’eau où il a ses habitudes. Et puis, il se rend à la poste et envoie ses enveloppes comme autant de bouteilles à l’océan.