Archive pour février, 2009
Un voyage désorganisé
8 février, 2009L’horloge de la salle d’attente des voyageurs était un bijou de l’industrie des années trente, dans le style art déco, dotée d’un cadran où s’ordonnaient des chiffres romains soigneusement calligraphiés. Le seul problème était que les aiguilles avaient disparu comme si le temps s’était absenté de ce lieu où l’aurait pu croire que l’exactitude s’imposait comme une politesse élémentaire due aux nombreux prétendants au départ qui s’y pressaient.
Sur les murs, la peinture verdâtre s’écaillait piteusement en s’apprêtant à tomber par lambeaux à certains endroits. Quelques affiches déchirées tentaient encore de vanter une eau minérale gazeuse qui n’existait plus. Comme dans toutes les salles d’attente, l’odeur fétide piquait désagréablement les narines.
Le chef de gare s’appelait Fernand. Il m’avait confié son prénom dès que je l’avais abordé comme si porter ce prénom était une évidence dans sa fonction. Il m’avait accompagné courtoisement jusqu’à cette salle où l’on se préparait au départ.
Les mains croisées dans le dos, en ayant l’air de s’interroger sur chacun des voyageurs qui patientaient, il avait entrepris de déambuler avec moi entre les rangées de sièges occupés. Sa moustache blanche cachait ses lèvres fines, tandis que son regard mouillé scrutait les lieux comme s’il les découvrait pour la première fois. Sur la visière de sa casquette réglementaire que la crasse avait figée dans la forme qui correspondait à son crâne, je pouvais lire, lorsque l’homme me regardait, « Compagnie des wagons-lits ».
Lucien Grognasson et sa voisine
7 février, 2009Monsieur Grognasson n’a jamais de chance. D’abord, parce qu’avec un patronyme comme le sien, tout le monde pense qu’il a une vision négative de l’existence, alors que Lucien Grognasson – on l’oublie trop souvent- était un joyeux luron. Enfin… autrefois. Ensuite, il est né un 29 février. Son anniversaire qu’il ne fête d’ailleurs pas revient tous les quatre ans seulement. Le pire, c’est que sa date de naissance ne sort jamais du tirage du loto tandis que celle de sa jeune voisine mademoiselle Dulampion s’est inscrit à trois reprises au palmarès!
L’an dernier à la fête du quartier, Lucien Grognasson a pris jusqu’à trois tickets de tombola ! Il espérait décrocher le gros lot : un voyage dans le Berry à la découverte de la cathédrale de Bourges. Eh bien, Lucien Grognasson s’en est retourné chez lui avec un magnifique panier à salade ! Le week-end suivant Mademoiselle Dulampion prenait tranquillement le train pour un splendide séjour dans la campagne berrichone ! Quelle injustice !
Parfois, lorsque Monsieur Grognasson sort chercher son pain, il croise Mademoiselle Dulampion sur le pas de la porte de son immeuble. Dorothée Dulampion, fraîche et rose, lui lance alors joyeusement :
- Bien le bonjour Monsieur Grognasson ! Comment allez-vous aujourd’hui ?
Quelle arrogance !
Un arrêt du Tribunal qui fera, n’en doutons pas, jurisprudence!
6 février, 2009Le tribunal note que Mademoiselle Indira Raminagrobis lèche consciencieusement son doux pelage blanc quatre fois par jour pour être agréable à son maître, Monsieur Dumontier.
Le Tribunal observe que cette activité est un sacré boulot et que le propriétaire de Mademoiselle Indira ne le mesure pas à sa juste valeur.
A la décharge du sieur Dumontier, le Tribunal remarque qu’icelui achète volontiers le pâté au lapin cinq étoiles dont Mademoiselle Indira Raminagrobis raffole littéralement.
Mademoiselle Indira Raminagrobis fait néanmoins le reproche au sieur Dumontier de ronfler comme une voiture de pompier après minuit ce qui gêne la plaignante qui ne peut se reposer dans le calme.
Mademoiselle Indira Raminagrobis porte plainte également à l’encontre de Monsieur Dumontier à propos de sa tendance à soliloquer comme un débile mental tous les matins dans sa salle de bains, et à terminer sa diatribe en regardant Mademoiselle Indira Raminagrobis d’une manière hargneuse, tout en s’écriant agressivement :
- Tu t’en fous, toi, hein !
Mademoiselle Raminagrobis est également obligée de constater que Monsieur Dumontier ne sait pas s’amuser puisque, lorsqu’elle monte sur le dos du fauteuil pour donner gaiement un léger coup de patte sur le crâne dégarni de Monsieur Dumontier, elle récolte une violente paire de claques en retour.
En conséquence, le Tribunal condamne Monsieur Dumontier à être plus agréable avec Mademoiselle Indira Raminagrobis et à lui faire des gouzis-gouzis entre les deux oreilles.
La création de l’ile flottante
5 février, 2009Dieu organise le monde. Il construit cinq grands continents, chacun étant partagé en pays de tailles égales, entre lesquels les hommes se répartiront harmonieusement. Mais le projet ne séduit pas du tout le Saint-Esprit, mais alors pas du tout. Il qualifie même le dessein divin de soviétique.
Le Saint-Esprit pense que la Divinité n’a pas encore compris que les hommes sont des êtres essentiellement irrationnels. Au lieu de se disperser uniformément dans l’espace, ils se feront un plaisir de s’agglomérer dans des endroits qu’ils appelleront Villes.
- Je parie même qu’ils vivront les uns sur les autres dans des espèces de constructions bâties en hauteur !
Le Saint-Esprit en déduit que la Planète doit être à l’image de la Création Humaine : anarchique. Il verrait bien qu’on répartisse au hasard des petits morceaux de terre dans les océans. Il estime que les hommes qui habiteront dans ces endroits isolés auront à cœur de développer leurs propres cultures.
Lucien Grognasson et les temps modernes…
4 février, 2009Lucien Grognasson moud son café grâce au moulin manuel de Madame Grognasson mère, décédée au cours de sa cent unième année en dépit d’une consommation intensive du fameux nectar. Il trouve que l’utilisation de l’engin permet au breuvage d’exhaler parfaitement sa délicieuse senteur lorsqu’il est acheté en grains concassés à la main.
Lucien Grognasson vient de fêter le cinquantième anniversaire de son téléviseur. Il fut le premier de son immeuble à en posséder un et il est toujours en état de marche ! Certes Monsieur Grognasson doit parfois froncer les sourcils pour distinguer les ombres qui se profilent sur son écran, certes Monsieur Grognasson ne reçoit plus qu’une chaine parmi les 364 qui sont perçues chez son voisin, mais quelle fierté lorsque les écoliers du quartier, dirigés par leur maître, viennent admirer ce véritable vestige des temps anciens.
Lucien Grognasson se rase toujours avec le sabre qu’a utilisé pour la première fois son arrière grand père Amédée Grognasson, lors du siège de Sedan en 1870. Le coupe-chou est peut être un peu surdimensionné pour son objet, mais il suscite l’admiration de ces dames et la fascination de la presse professionnelle consacrée au métier de barbier.
Lucien Grognasson se rend au défilé traditionnel du 14 juillet au volant de sa Frégate modèle sport de 1956. La sortie du véhicule entraine chaque année un sympathique mouvement de foule dans les rues et un arrêt immédiat de la circulation sur son passage.
Lucien Grognasson n’a rien contre le modernisme, mais quand même, il pense qu’aujourd’hui, on ne produit d’objets aussi solides qu’autrefois…
Les yeux de Nestor
3 février, 2009- Vous n’êtes pas altermondialiste au moins ?
Rouvière vient de me lancer cette phrase comme une insulte. Il a l’air effaré. Je lui réponds que je ne vois pas le rapport avec ce que je viens de lui dire. Mais je reconnais que ce que je viens de lui demander peut lui poser un léger problème.
Il y a trois ans, j’ai été nommé directeur commercial du sud-est dans un grand groupe qui vend des maisons individuelles. Cette nomination, je l’avais attendue, espérée plusieurs années durant. Je m’étais battu pour l’obtenir. Depuis, ma vie a changé : 60 heures de travail par semaine, plus de week-ends, des déplacements incessants, etc… Mon couple en pâtit : je ne vois plus Bernadette, les enfants, la famille…… Je suis crevé, bourré de tranquillisants, je ne fais plus rien de créatif. En un mot, j’en ai marre.
Dans les grandes lignes, c’est ce que je viens d’expliquer à Rouvière, le directeur des ressources humaines. J’ai profité d’un de mes nombreux voyages à Paris pour solliciter cet entretien. Il m’a écouté avec compassion pendant que je déroulais devant lui le film de ma navrante existence. Il m’a répondu qu’il en était au même point mais que, par les temps qui courent, il fallait mesurer la chance que nous avions d’avoir un job bien payé. Visiblement, il estimait avoir en face de lui, un salarié parmi tant d’autres dont il allait facilement apaiser le petit coup de blues.
Encore quelques mots de vocabulaire!
2 février, 2009Iridologie.
Lorsque quelqu’un vous regarde dans le blanc de l’œil en espérant tout savoir de vous, méfiez vous ! Vous avez peut-être affaire à un iridologue débutant et qui se trompe. L’iridologie est en effet une méthode qui permet de détecter les maladies d’un être humain en regardant, attentivement sans doute, son iris. Il conviendrait donc d’indiquer à votre interlocuteur qu’il ne déduira rien de l’inspection de votre globe oculaire, si ce n’est peut-être une légère tendance à la jaunisse.
Muselet
Selon le dictionnaire, c’est le bout de fil de fer, après lequel vous vous énervez régulièrement, dont le seul intérêt est de maintenir dans sa position initiale, le plus longtemps possible, le bouchon de la bouteille de mousseux que vous vous escrimez à ouvrir les jours de fête. Quand je vous dis que vous feriez mieux de vous en tenir au champagne !
Pénultième
C’est l’avant dernier de la course. Alors pourquoi ne dit-on pas avant-dernier ? Pour pouvoir dire antépénultième, ce qui est beaucoup plus élégant que « avant-avant-dernier » !
Vindicatif
Contrairement à ce que je pensais ce n’est pas un être qui s’énerve pour un oui ou non comme Maurice. C’est un être tortueux, sournois, malintentionné et un tantinet paranoïaque, qui ne songe qu’à se venger du monde entier de tout le mal dont il s’imagine être l’innocente victime.
Protoplanète
C’est une planète en formation. C’est un mot très utile. En effet, si vous avez l’impression d’apercevoir une protoplanète en formation dans le ciel, vous avez probablement le plus vif intérêt à courir très vite dans une direction prise au hasard avant que l’astéroïde ne s’écrase à la place que vous occupiez à cet instant précis.
Souvenirs…
1 février, 2009
Le tour du grenier comme chaque été ! L’an dernier, j’avais réussi à mettre au rebut trois paires de chaussettes et quatre classeurs usagers. Pour les chaussettes, j’ai failli pleurer. L’idéal serait de ne rien jeter, tout en gagnant de la place. D’autant plus que j’ai un grenier qui fait bien « grenier », c’est un vrai bazar. Un grenier vide n’a plus l’air d’un grenier. Bon, je vais trier, mais pas trop !
Mon premier transistor. J’ai assisté aux évènements de mai 68 grâce à lui. Il crachouillait, bégayait, bouillonnait, mais enfin il m’a transporté au cœur de toutes les manifestations du Quartier Latin et d’ailleurs. J’avais même l’impression d’être poursuivi par des hordes de gendarmes mobiles lorsque j’entendais de sourdes détonations dans le lointain. Je me souviens aussi d’avoir vécu des arrivées du Tour de France mémorables, celles des années où il y avait encore au moins un français parmi le vingt premiers. Et puis « Salut les copains ! », à 17 heures, pendant les devoirs du lendemain.