Un peu d’Histoire….
Le 11 février 1352, la cérémonie du sacre du Roi Charles le Bel se déroulait dans la cathédrale de la bonne ville de Reims dont Maître Tisserand était l’un des notables les plus connus par l’ampleur de sa pratique, laquelle l’entraînait à fréquenter les hautes dames de
la Cour, et l’un des commerçants les plus réputés par la finesse des soieries qu’il faisait venir d’Orient grâce à d’intrépides voyageurs qu’il savait récompenser de leur hardiesse.
Vêtu de son meilleur mantel pour se protéger de la froidure, notre homme sortit de sa demeure bourgeoise, dès le jour, pour tenter d’apercevoir le nouveau souverain. Sur la place du Marché, la foule s’agitait comme la fourmilière dérangée par le pas du promeneur ; la rumeur incessante de la cohue était dominée par les cris des bonnes femmes énervées ou les chansons grotesques des pochards avinés. Des jongleurs montraient leur dextérité à un cercle de curieux ; sur une estrade, des comédiens donnaient une pantomime silencieuse où il était question d’un roi de pacotille ridiculisé par ses courtisans, sous les railleries du public qui s’esbaudissait ainsi que tous les peuples le font lorsqu’on se moque des Grands qui nous gouvernent.
Maître Tisserand aperçut enfin la taverne de Maître Barbichet. Devant sa porte, un marchand de vin faisait rouler ses barriques en hurlant qu’on lui fasse place. En descendant les trois marches qui menaient à la salle commune, il eut déjà les narines assaillies par des relents délicieux de la cuisine de Madame Barbichet et les oreilles abasourdies par le chahut des clients excités par le nectar de Maître Barbichet, lequel surgit en tendant les bras au nouveau venu.
Les deux hommes se donnèrent une forte brassée en se tapotant l’épaule longuement. La petite taille et la bedaine proéminente de l’aubergiste lui conféraient une démarche comique ; la rondeur du visage était soulignée par la rougeur des joues et du nez ; le menton hésitait entre la double ou la triple rangée selon les mouvements de son propriétaire.
Maitre Barbichet n’en finissait pas avec les politesses d’usage. Soudain, il vint enfin au sujet du jour :
-« Suivez-moi, je vous ai réservé la meilleure place … »
Grimpant à son étage, Maître Barbichet conduisit son ami à sa chambre. Il ouvrit la croisée qui donnait vue sur la place.
-« Vous aurez une vision parfaite, Maître Tisserand ! Je retourne à mes cuisines, vous êtes ici chez vous !! »
Notre homme découvrait effectivement le parcours royal. En se penchant, il aperçut deux belles femmes accoudées à la fenêtre voisine ; elles étaient encapuchonnées pour mieux résister à la morsure de l’hiver et elles riaient de leurs dents blanches en se montrant du doigt un détail dans la foule. Connaissant l’aubergiste, Maître Tisserand se doutait qu’il avait profité de l’évènement pour louer ses fenêtres aux notables qui n’entendaient pas se presser au coude-à-coude avec la populace. Son doute devint une certitude quand il entraperçut un profil qui dépassait de l’œil-de-bœuf, à l’étage supérieur. L’aubergiste avait même loué son grenier à un client moins fortuné que ses deux voisines.
Bientôt, un mouvement de foule se dessina ; les hallebardes des soldats se redressèrent soudain. Les premiers « Vive le Roi !» s’élevèrent au loin. Chacun quitta son occupation et une formidable vague vint s’écraser contre les deux rangées d’hommes en armes qui ployèrent sous la pression populaire sans rompre cependant. L’avant-garde du cortège était impressionnante : les cavaliers et les étendards multicolores déchaînèrent les cris d’admiration. La silhouette rouge sang du Comte d’Artois, maîtrisant avec élégance son puissant destrier, se détachait en tête du défilé. Et puis le carrosse de sa Majesté elle-même : pendant un instant, Maître Tisserand le dévisagea enfin. La silhouette semblait courbée, le visage pâle, le regard perdu, presque hagard, il eut l’impression que les lèvres étaient affectées d’un rictus mal contrôlé.
Maître Tisserand fut, dans cet instant fugitif, assailli d’une prémonition : la couronne de France allait de nouveau changer de tête rapidement. Alors que la populace s’époumonait encore, il eut le pressentiment que sa Majesté ne vivrait pas longtemps et que Maître Barbichet pourrait encore louer ses appartements.
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