La création de l’ile flottante
Dieu organise le monde. Il construit cinq grands continents, chacun étant partagé en pays de tailles égales, entre lesquels les hommes se répartiront harmonieusement. Mais le projet ne séduit pas du tout le Saint-Esprit, mais alors pas du tout. Il qualifie même le dessein divin de soviétique.
Le Saint-Esprit pense que la Divinité n’a pas encore compris que les hommes sont des êtres essentiellement irrationnels. Au lieu de se disperser uniformément dans l’espace, ils se feront un plaisir de s’agglomérer dans des endroits qu’ils appelleront Villes.
- Je parie même qu’ils vivront les uns sur les autres dans des espèces de constructions bâties en hauteur !
Le Saint-Esprit en déduit que la Planète doit être à l’image de la Création Humaine : anarchique. Il verrait bien qu’on répartisse au hasard des petits morceaux de terre dans les océans. Il estime que les hommes qui habiteront dans ces endroits isolés auront à cœur de développer leurs propres cultures.
Du coup, il invente le Royaume-Uni, le chapeau melon, le rugby et l’humour noir. Dieu fait remarquer que l’ensemble est un peu hétéroclite, voire farfelu. Le Saint-Esprit rétorque que c’est justement ce mélange qui va donner du caractère à la vie sur cette île.
De plus, le Saint-Esprit parie que les îles pousseront les hommes qui ne les connaissent pas d’aller y voir de plus près. .
Et puis, pendant qu’on y est, le Saint-Esprit propose qu’on imagine la Corse. Elle abritera de la garrigue, de la vigne, des chèvres. Dieu se gratte le front.
-Et pourquoi, on ne jouerait pas au rugby en Corse ?
Le Saint-Esprit lève les yeux au ciel. Enfin, un peu plus haut…
Les deux entités surnaturelles regardent le plan du Monde. Dieu reconnaît que ça commence à prendre de l’allure. Le Saint-Esprit se pique au jeu : il ne peut pas en rester là. Grâce à une opération de lui-même, il invente Cuba : il va y imposer la fabrication et la pratique du cigare.
Dans la foulée, il pose la Réunion en plein Océan Atlantique. Il se recule pour voir l’effet que sa trouvaille produit. Non, finalement,
la Réunion sera mieux dans l’Océan Indien. On pourrait y faire venir beaucoup de touristes.
Il ne se doute pas que, quelques kilomètres plus loin, Lucifer suit l’opération. Dans l’ombre de son atelier, il estime, lui aussi, avoir son mot à dire dans la Création du Monde. En l’occurrence, le Diable ne laissera pas s’instaurer le paradis sur Terre, ce serait le comble ! Il instaure de la dictature à Cuba et la tempête au-dessus de la Réunion. Puis, il se frotte les mains d’un air méchant et émet un rire démoniaque.
Dieu ne s’avère pas encore complètement convaincu. Il n’aime pas trop ce bazar, tout en se rendant bien compte qu’il vaut mieux donner aux hommes une nature sauvage à conquérir plutôt qu’une résidence parfaitement organisée où ils vont s’ennuyer à mourir et tomber dans l’oisiveté, qui, comme chacun sait, engendrera la turpitude.
Le Saint-Esprit sent les réticences divines. Pris d’une subite d’inspiration, il invente l’île de la Cité : on pourrait y construire une magnifique cathédrale, qu’on viendrait visiter du monde entier et qui serait dédiée à l’Adoration du Créateur.
Celui-ci prend l’air embarrassé, mais il est ravi :
- C’est trop ! C’est trop ! Enfin, puisque vous insistez….
Le Saint-Esprit déborde d’imagination. Son idée de mettre des petits bouts de terre partout dans l’océan va forcément développer la curiosité humaine. On pourrait créer, par exemple, une île déserte, complètement inhospitalière, et on pourrait imaginer l’arrivée d’un naufragé. Quel roman ! Le Saint-Esprit aimerait l’écrire s’il avait un peu plus de loisirs.
Pendant ce temps, le Diable n’entend pas rester inactif. Pour contrer les projets divins, il invente Ibiza, une île où tous les plaisirs seront réunis, surtout les plaisirs interdits : le jeu, la sensualité, la drogue, les nuits chaudes….. Un nouveau rire sardonique retentit dans son laboratoire. Les apprentis diablotins applaudissent à tout rompre : le patron est en forme ce soir !
Dieu commence à comprendre la stratégie du Saint-Esprit. L’île sera par nature un lieu énigmatique : l’homme devra inventer toutes sortes de créations pour y accéder : la marine à voile, le tunnel, Internet etc…. Pour renforcer le mystère, il crée l’île de Pâques avec des énormes statues bizarres plantées dans le sable. Le Saint-Esprit félicite son supérieur hiérarchique. Le secret de l’île de Pâques suscitera beaucoup de convoitise, il se passera du temps avant que les hommes comprennent….
Dieu s’amuse désormais. Et si l’on fabriquait l’île de Ré ? L’idée aiderait les cruciverbistes. Et puis l’île d’Oléron ? Les êtres humains seraient obligés de construire un pont. Le Diable contre-attaque en infligeant un infâme péage aux futurs automobilistes aux deux extrémités de l’ouvrage.
Dans cette gigantesque partie de Monopoly, le Malin n’a pas donné son dernier mot. Il imagine deux îles, recouvertes de glace complètement inhabitables, il les positionne aux deux extrémités du globe terrestre. Le Diable-adjoint félicite chaudement son maître : c’est un très mauvais coup porté à l’Humanité ! A ce point du récit, il faut rappeler que Raymond, le Diable-adjoint était parvenu à cette dignité à force de flagornerie et de servilité.
Dieu s’emballe : il positionne des îles de partout. Celle de Saint-Hélène, par exemple : elle pourrait servir à exiler des monarques indélicats. Le Diable réplique par la Sicile : il en fait un repère de brigands. Dieu a envie d’îles paradisiaques pour satisfaire les touristes : d’un claquements de doigts, les Maldives et les Seychelles apparaissent.
Le Diable a un coup de retard, il se rattrape en faisant surgir des volcans fumants et menaçants sur les créations divines : la Montagne Pelée en Martinique, par exemple.
Le Saint-Esprit commence à s’inquiéter : Dieu ne s’arrête plus. Il crée les Fidji. Le Diable y impose aussitôt le rugby pour organiser un conflit avec les anglais. Dieu imagine les Bahamas, encore un Paradis touristique. Mais Lucifer en fait immédiatement un lieu d’évasion fiscale où toutes sortes d’affaires louches pourront se traiter tranquillement entre hommes d’affaires peu scrupuleux.
Le Saint-Esprit tire Dieu par la manche. On va peut-être s’en tenir là : les hommes auront suffisamment à faire pour se développer dans un tel désordre. Dieu boude : il continuerait volontiers à jouer. Lorsque Dieu est contrarié, il ouvre le frigo pour grignoter. Dans un mouvement de dépit, il se rend aux cuisines où son Chef prépare le repas.
Il tombe en arrêt devant l’une de ses crèmes favorites. Pris d’une inspiration subite, Dieu se concentre : il vient d’inventer un nouveau dessert.
C’est ainsi que les principaux travaux de recherche internationaux expliquent l’origine de l’île flottante qui couronne, aujourd’hui, nos repas familiaux d’une manière si délicieuse.
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