Le périple de la petite pierre
La petite pierre dévala la pente en exécutant de grands bonds à chaque accident du terrain. Sa chute se termina sur le bord du lit de la rivière. Très étonnée, elle s’examina sous toutes les coutures : contrairement au dicton populaire, elle n’avait pas amassé mousse. La petite pierre se présentait sous une forme très particulière, arrondie d’un coté, tranchante comme un silex de l’autre ce qui lui conférait une grande originalité et la distinguait ainsi des autres cailloux dont l’allure était beaucoup plus simple.
Un galet qui se trouvait là, poli par les remous du cours d’eau, s’inquiéta courtoisement de l’origine de la petite pierre. Celle-ci raconta qu’elle était tranquillement installée sur l’un des chemins de la forêt qui surplombait la rivière quand des pluies incessantes avaient entraîné un profond ravinement de la terre et un éboulement massif qui expliquait son arrivée un peu brutale en ces lieux. Il parait même qu’Alfred, le gros rocher qu’elle côtoyait dans la forêt avait chuté sur la route provoquant un monstrueux embouteillage.
Le galet qui, rappelons le était d’une grande politesse, répondit à la petite pierre que décidemment les minéraux voyageait beaucoup plus que ne le pensaient les humains puisque lui-même se trouvait, huit jours plus tôt, au sommet d’un glacier dont il fut délogé par le redoux printanier et le réchauffement de la planète.
La petite pierre était tombée dans un endroit très peu fréquenté par les promeneurs car difficile d’accès. Seul Martin, le pêcheur du village s’y risquait après avoir passé de gigantesques bottes en caoutchouc pour taquiner les truites qui s’ébattaient dans les ondes.
Décidemment, le climat était particulièrement désorganisé cette année là puisque, quelques temps plus tard, la rivière furieuse sortit de son lit et emporta la petite pierre et le galet courtois au loin, très loin.
La petite pierre entreprit alors un long voyage. En flottant entre deux eaux, elle fit la connaissance de nombreux poissons. Un vieux silure dont la vue baissait remarqua qu’elle avait une drôle de forme et l’interrogea pour savoir si, par le plus grand des hasards, elle n’appartenait pas à cette nouvelle race piscicole dont il avait entendu parler et qu’on appelait les poissons panés.
A la fin de son parcours, la petite pierre changea d’horizon puisqu’elle se retrouva sur une plage de
la Méditerranée où elle put s’entretenir avec une armée de gravillons venus de lointaines contrées s’échouer dans cette douce baie. La petite pierre raconta à l’un d’eux qu’elle avait l’habitude de vivre à la montagne et que c’était la première fois qu’elle venait à la mer. Aussitôt les petits cailloux s’agglutinèrent autour d’elle pour mieux entendre le récit de son périple.
Un jour, le Philosophe vint à passer. Le Philosophe aimait particulièrement cette plage si propice à la méditation. Comme tous les grands philosophes, il était barbu et portait de longs cheveux gris retenus par une queue de cheval qui le désignaient aux yeux de tous comme un intellectuel d’avant-garde dont il convenait de ne pas troubler la réflexion. Il marchait lentement le long de la mer. Parfois, il arrêtait sa promenade, regardait au loin en plissant les yeux comme si, en admirant la ligne d’horizon, une idée bouleversante venait de lui traverser l’esprit. A d’autres moments, il cheminait en regardant la pointe de ses bottes d’un air pensif, comme il sied à un grand penseur.
Et c’est ainsi qu’il tomba en arrêt devant la petite pierre dont il admira les formes si pittoresques. Il l’adopta immédiatement et la petite pierre s’installa dans le bureau du Philosophe qui, par un fait exprès, s’appelait Pierre. Le rôle de la petite pierre fut désormais de retenir les papiers de Pierre qui avaient une fâcheuse tendance à s’envoler dans la pièce chaque fois qu’il en ouvrait la fenêtre.
La petite pierre semblait heureuse de ce nouveau destin. Elle se dit même qu’elle était la nouvelle pierre philosophale !
Malheureusement, le Philosophe mourut un jour, sans enfant, et sa maison fut livrée à l’abandon jusqu’à ce qu’un agent immobilier s’y intéresse en raison de sa bonne exposition face à la mer. Un complexe hôtelier allait être construit à cet endroit qui rapporterait sans doute beaucoup d’argent au promoteur. La maison du Philosophe fut donc rasée et la petite pierre se retrouva mélangée à une tonne de gravats dans un désordre indescriptible.
Mais le promoteur qui ne laissait rien perdre avait une idée en tête, il voulait, en quelque sorte, faire d’une pierre deux coups. Il avait convenu de revendre les restes de la maison du Philosophe à la compagnie de chemin de fer qui avait un urgent besoin de remblais pour la nouvelle ligne à grande vitesse qui devait faciliter la circulation des marchandises dans la montagne.
La petite pierre eut donc cette nouvelle fonction de contribuer au maintien des rails dans une portion particulièrement pentue où il fallait être très solide. Le travail était dur, mais la petite pierre se trouvait au milieu de consoeurs qui s’épaulaient avec une grande solidarité chaque fois qu’un convoi passait au-dessus de leurs têtes.
Un jour, un enfant se promenait près de la voie ferrée en ayant l’air de chercher quelque chose à terre. La petite pierre pensa qu’il n’était pas très prudent de laisser jouer un enfant de son âge aussi près des rails. Elle s’indigna de l’imprudence des parents ! Un train pouvait survenir à tout instant et le happer au passage !
L’enfant se baissa et enfourna la petite pierre dans sa poche avec quelques unes de ses camarades de travail. La petite pierre s’étonna encore de ce changement, mais elle aimait bien ce gamin et l’idée de lui tenir compagnie ne lui déplaisait pas.
Le soir, l’enfant, ses frères et ses parents partirent faire une promenade en forêt. Bientôt la petite pierre s’aperçut que l’enfant avait conçu un stratagème particulier. Une à une, il laissait tomber derrière lui les cailloux qu’il avait ramassés dans la journée. La petite pierre, qui avait des lettres, comprit qu’elle était tombée dans la famille du Petit Poucet et qu’elle participait à une opération de sauvetage d’une enfance en péril.
C’est ainsi que la petite pierre retrouva le chemin de sa forêt.
Le lendemain, un nouveau glissement de terrain emporta la petite pierre sur le bord du ruisseau etc….etc…
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