Archive pour le 6 janvier, 2009

Quand la marquise tient salon

6 janvier, 2009

Les mardis après-midi de la marquise sont très courus. Son salon est envahi par les hautes dames et les vaillants gentilshommes qui comptent auprès de sa Majesté. Les plateaux d’argent glissent entre les invités,  la marquise a fait servir la meilleure liqueur de sa propriété d’Anjou. Les conversations vont bon train,  les mots d’esprit s’entrecroisent, les hommes s’esclaffent avec élégance, les dames s’esbaudissent en agitant leurs éventails avec frénésie. Car il fait chaud en cet après-midi du mois de juillet bien que la marquise ait ordonné d’ouvrir toutes les portes fenêtres qui donnent  vue sur son jardin qu’illuminent ses bosquets odorants de roses de Damas.

Soudain, le Vicomte de la Bonbonnière, rouge, essoufflé, tout bouffi dans son embonpoint bedonnant, surgit au milieu des convives. La marquise fronce les sourcils et s’apprête à chasser l’intrus. Voilà un vil sot que plus personne ne prie plus sous son toit !

- Le peuple a détruit la Bastille ! s’exclame-t-il, encore affolé de la course qui l’a conduit chez la marquise.

Les conversations s’arrêtent net, les têtes stupéfaites  se tournent vers le Vicomte. Puis comme orchestrés par un commandement invisible, les convives se reprennent, chacun y va  de son sentiment  ou de son opinion dans un chahut inaudible.

- La Bastille, comme c’est amusant !

- Le peuple, c’est qui ?

- Encore un coup des casseurs de banlieue!

- Sa Majesté va être contrariée !

- Moi, je m’en fiche, je ne prends pas le métro !

- La Bastille, c’est quoi ?

- Le quatorze juillet, tout de même… on ne fait pas ça un quatorze juillet !

- Je peux encore avoir de la liqueur ?

Devant le brouhaha grandissant, la marquise s’apeure : il faut qu’elle réagisse, sinon sa soirée va être gâchée par cet affreux vicomte et les vilaines nouvelles qu’il colporte pour faire l’intéressant ! Vite un divertissement !

- Mes amis ! Et si nous organisions une grande compétition de trictrac entre nous ? S’exclame-t-elle.

- Trissotin, installez les tables de jeu, mon ami !

 Tintin