Une belle prise (par Tintin)
5 janvier, 2009Je n’ai jamais vu la mer. Je crois que j’aurais aimé le roulement incessant des flots, les criaillements des mouettes fugueuses, l’horizon qui s’enflamme lorsque vient le crépuscule. J’ai du me contenter de l’imaginer à partir des récits de voyageurs bienveillants. Imaginer que je voguais sur le navire amiral, droite sur le gaillard d’avant, giflée par le vent et les embruns, goûtant les premières ardeurs du soleil levant tandis qu’autour de moi les hommes hurlent la manœuvre et que les mousses grimpent comme des insectes entêtés dans les cordages et les mâts. Ou alors, j’aurais pu simplement fouler ces plages désertes dont le sable est si doux sous le pas. En hiver, on dit que le ciel y est bas, le paysage serein et qu’on y est bien pour méditer.
Entourée des tours de mon château, des courtisans et des fous du roi, non seulement je n’ai jamais contemplé l’océan, mais je n’ai jamais rien pu voir d’intéressant. Je ne connais pas le peuple de mon royaume. Il parait que c’est inutile pour régner efficacement. La populace n’a pas à interférer dans les affaires de l’Etat, il ne manquerait plus qu’elle puisse donner son avis ! Il ne m’a pas été permis de m’occuper des pauvres et des indigents. C’est indigne du sang royal qui coule dans mes veines ! Je n’ai que le droit, les jours de cérémonies, de recevoir la bénédiction des hommes d’Eglise et l’allégeance des seigneurs inféodés. Les chevaux des écuries et Zéphyr, mon destrier préféré, constituent une de mes rares distractions, le seul moyen de soulager pour un moment mon mal de vivre. Pourtant mes ballades équestres sont limitées, je ne suis pas autorisée à sortir du pré carré des jardins majestueux de notre palais. La garde royale aurait tôt fait de me rattraper si j’avais des envies d’élargissement. Le Roi, mon époux, vit très entouré, comme défendu par ses conseillers. C’est un homme important, puissant, son pouvoir est à la fois redouté et convoité. Lui aussi bouge peu et sort rarement. Il est tellement assiégé, cerné, attaqué de toutes parts qu’il doit être rigoureusement protégé par sa garde rapprochée. Voilà bien longtemps que nous ne passons plus de doux moments ensemble !